Here comes the rain again

La journée n'était pas encore terminée. Ce qui voulait dire, ni plus ni moins, qu'il restait encore au moins autant d'heures à remplir. Enfin, dans les chiffres. L'Anglais était encore une matière sous-évaluée par rapport à ses consœurs de l'éducation Nationale Française. On a besoin de savoir compter, d'entretenir son corps, certes. « Tu vas enseigner une langue inutile, tout le monde parlera Français dans le monde très bientôt. » Ah, ça elle l'avait entendu. Mais qui était le plus utopiste des deux, là était la vraie question. C'était un choix un peu fantaisiste comme plan de carrière. Prof, c'est bien moins facile que l'opinion publique s'évertue à le penser. Encore plus quand tu choisis une matière délaissée de tous, et surtout des élèves qui n'en ont tout simplement rien à faire. Et elle s'était de nouveau frottée au problème. Ils connaissent des mots, les paroles insipides des chansons qui passent tous les jours à la télé. Ils reproduisent les sons comme on mangerait un yaourt plein de saveurs, sans vraiment savoir ce qu'on mange au final. Et sans réfléchir ils sortent des phrases sans queue ni tête. Et Sasha, sans grande patience, prend sur elle, dépitée.

Voilà pourquoi elle rentra dans la salle avec si peu d'entrain. Elle qui n'en manquait d'habitude pour ainsi dire jamais, entra dans cette salle qu'elle apprendrait rapidement à connaître dans les moindre recoins avec la mine basse et les épaules toutes aussi abattues. Elle repéra une chaise, sans empressement, et s'y posa, laissant son regard se perdre par la fenêtre. Elle ne buvait pas de café, ça lui rendait certaines journées encore plus difficiles à encaisser. Pour le moment elle était seule, mais il y en auraient certainement quelques uns qui n'allaient pas tarder à retrouver cet endroit privilégié. Oasis pour les professeurs exténués. Ca ne lui tardait pas, elle était la nouvelle prof, elle aurait quinze mille comptes à rendre.

Comme à chaque fois que le futur est inquiétant ou désagréable, le temps passait trop vite. Un regard à sa montre plus tard lui fit prendre conscience que ces 5 minutes en avaient été en réalité une bonne quinzaine. Un soupir plus tard, rien n'avait changé. Elle n'avait pas eu la force de se faire un thé, elle n'aurait pas la force de s'en servir un. Tant pis, de toute façon elle n'avait pas soif. C'est comme ça qu'on fait quand on a envie de rien non ? On se persuade lentement qu'on avait de toute façon pas besoin de manger, de bouger, de parler, et bientôt de respirer. Et on finit par perdre le goût, voire même le sens de la vie. Qui est comme tout le monde le sait : 42. Elle donnait souvent l'impression d'abandonner trop vite, un peu trop facilement, mais au final elle allait toujours jusqu'au bout et se battait bien plus qu'on pensait qu'elle ne le ferait. Pour le moment, le calme plat, avant la tempête certainement. Enfin. Une fois le soupir noyé dans l'air ambiant, elle porta de nouveau son regard vers la fenêtre. Elle n'avait de toute façon pas assez de motivation pour se lever et coller son nez contre la vitre.

Enfin, ça ne durerait pas bien longtemps puisqu'à quelques mètres de là, loin de ce que ses sens pouvaient prévoir ou percevoir, quelqu'un d'autre avait abandonné ses fonctions un instant pour penser à autre chose. Travailler avec l'être humain demande beaucoup de sacrifices que beaucoup oublient de faire. Il faut être souriant, patient, à l'écoute et surtout juste. C'est plutôt difficile selon qui l'on a en face, pourquoi, et surtout ce qu'il faut arriver à faire avec lui. Il y a des jours ou c'est beaucoup plus facile que d'autres. Elle aurait aimé se lever fraîche comme une fleur, de bonne humeur, l'esprit à mille lieues des inquiétudes banales du quotidien monotone. Mais non. C'était d'ailleurs même rarement le cas. Elle avait beaucoup de remords, et ce n'était pas facile de vivre dans ses souliers tous les jours. Mais elle trouvait la force d'avancer dans beaucoup de petites choses. Les nuages, certains sourires, quelques élèves qui comprennent ce qu'elle raconte.

Elle fut sortie de ses pensées par l'ouverture de la porte. Elle ne se retourna cependant même pas, trop absorbée par le flot de ces pensées on ne peut plus négatives, le regard perdu dans le lointain obstrué par un arbre qui n'était pas de la première jeunesse- à en juger par ses feuilles jaunies. Tout était morose, ce qui n'allait pas l'aider. Enfin..jusqu'à ce qu'une voix qu'elle ne connaissait pas depuis bien longtemps lui donne une existence nouvelle en prononçant son prénom. Ses yeux s'animèrent vaguement. On lui parlait, et ses réflexes lui intimaient de répondre. C'était la moindre des choses ! Après un léger soupir, masqué autant que possible, elle laissa ses lèvres 'étirer en un vague sourire.

« Moins bien que toi certainement, tu as l'air radieuse. »

Elle secoua légèrement la tête, revenant à elle, avant de tourner la tête vers son interlocutrice. Elle en retrouva un peu d'entrain tant Maëlynn semblait enjouée.

« Qu'est ce qui t'arrive, tu t'es perdue ? »

Et voilà que Sasha était de retour. Taquine et bienveillante.