La rencontre de la prof de Sciences et celle de la prof de Français

J'étais entrée dans la salle des professeurs quelques minutes plus tôt, m'installant à l'une des tables pour préparer mes cours. J'avais déjà quelques séquences de prêtes, mais je sentais que j'allais devoir m'adapter à certains élèves récalcitrants. Ce jour-là, je portais une veste de tailleur grise et un haut noir, ainsi qu'un jean et des chaussures à talon. Mes cheveux étaient attachés en queue de cheval, laissant sur mon front une frange que je repoussais de ma main lorsque je peinais à réfléchir. Je soupirai. J'avais besoin d'un remontant. Je me levai et pris la direction de la machine à café et qui faisait également distributeur de chocolats chauds. Cela m'arrangeait bien, je ne buvais pas de café. J'avais d'autres manières de tenir le choc. Une fois mon gobelet en main, je me rassis et savourait cette sensation de chaleur qui se propageait le long de mes doigts. Je bus quelques gorgées alors que mon regard rencontrait celui d'une de mes collègues, une brune aux cheveux détachés, assise sous la fenêtre. Je lui adressai un sourire et m'avançai vers elle. Je n'étais pas vraiment timide et je lui adressai un sourire chaleureux.

" Bonjour ! Lyra Perryn. Je suis professeur de français. "

Je jetai un rapide coup d'oeil aux feuilles sur lesquelles elle semblait mettre des annotations.

" Et toi... Tu dois être professeur de sciences au vu de tout ce charabia ! "

Je montrai rapidement du doigt l'amas de feuilles qu'elle avait entre ses mains, conservant un sourire amusé. Je n'affectionnais pas beaucoup les sciences lorsque j'étais encore élève, mais je ne m'en désintéressais pas.

Sortant de sa torpeur de correction, la jeune femme releva ses yeux vers moi. De grands yeux bruns très expressifs. Elle se présenta aussitôt comme étant Aléana Brooks. Alors que mon sourire s'agrandissait devant ses chaleureuses paroles, une fossette se plissait au creux de ma joue. Je hochai la tête lorsqu'elle me demanda si j'étais bien enseignante de français. Je confirmais ses pensées d'un mouvement de tête significatif, ne pensant pas qu'un mot était nécessaire. Distraitement, comme à mon habitude, je jetai un coup d'oeil par la fenêtre. Le ciel était bleu et étincelant dehors, quelques avions ayant dessiné des coups de crayon de blanc. Pourtant, le froid était bien là, et mes doigts se ressérèrent autour de mon gobelet de chocolat chaud. Aléana me demanda alors si je m'en sortais avec toutes ces feuilles éparpillées sur la table. J'émis un léger rire, quoiqu'un peu désemparé avant de lui répondre.

" Oh ! J'ai l'impression que je n'en verrai jamais le bout ! C'est mon premier poste et j'essaie d'adapter mes cours aux élèves qui sont ici. Ce n'est pas évident mais je vais finir par trouver quelque chose qui les intéressera ! "

Ma langue se déliait à cette question et je commençais à devenir bien bavarde...

" ... D'ailleurs, je vais bientôt leur proposer un petit test d'évaluation du niveau, mais j'ai un peu peur des résultats que je vais obtenir. Même si c'est pour presque tous leur lanue maternelle, je pressens de grosses lacunes en orthographe et conjugaison ! Enfin... je ne servirais à rien s'il n'y avait pas ces petites fautes n'est-ce pas ? "

Je ris encore doucement, mon regard se perdant de nouveaut vers l'autre côté de la fenêtre. Je bus quelques gorgées brûlantes de chocolat chaud avant de m'asseoir à une chaise, en face de la demoiselle aux cheveux bruns et de lui demander :

" Et toi, c'est ton premier poste ? Comment est-ce que tu es arrivée ici ? "

La conversation avait pris une tournure tout à fait plaisante. J'étais assez contente de connaître davantage l'une de mes collègues et, qui plus est, une demoiselle qui se retrouvait dans la même situation que moi. A savoir que c'était son tout premier poste. Mais derrière ce sourire chaleureux que mon interlocutrice arborait se cachait quelque chose de plus froid. La distance émise par son choix du vouvoiement, alors que, d'instinct, je tutoyais mes collègues, du moins ceux qui semblaient de la même décennie que moi et moins, me frappa. Je ne voulais pas le montrer, et conservai un sourire. C'était plutôt normal non ? Je ne la connaissais que depuis quelques minutes. Je l'observais pendant qu'elle me racontait avec très peu de détails comment elle était arrivée jusqu'à ce pensionnat. C'était une femme de sciences. Brève, allant à l'essentiel sans fioritures ni rêveries. J'admirais cela, car j'en étais assez incapable. Je bavardais toujours un peu trop ! C'est alors que la question me fut retournée. Et moi ? Comment en étais-je venue à poser mes valises ici ? Je lui rendis son charmant sourire.

" Oui. C'est aussi mon tout premier poste. J'ai eu le CAPES cette année. Tout juste diplômée et j'avoue que ça me fait tout drôle de me retrouver de l'autre côté du bureau. Et puis... ici, ça ne ressemble à aucun stage que j'ai pu faire pendant mes études. Mais ça me plait. Cette discipline, cette rigueur... C'est devenu nécessaire de retrouver les bases qu'avaient nos grands-parents et leurs parents avant eux. "

Voilà, j'étalais encore le fond de ma pensée. Pour me faire taire, j'engloutis la fin de mon chocolat chaud. Près de la fenêtre, on sentait un léger courant d'air frais s'échapper des vitres de verre. Le bâtiment était tout de même un peu ancien. Je frissonnai, serrant mes bras contre ma poitrine.

Aléana, la jeune enseignante de sciences, se leva de sa chaise pour aller reprendre un café. J'imaginais le genre de femme à aimer la saveur du café corsé, noir. Fort en goût. Je ne savais pas trop pourquoi, mais j'avais cette idée là. Je me faisais souvent des à-priori sur les personnes, jouant les analystes psychiatres, mais il m'arrivait souvent de me tromper sur ce genre de petits détails. En revanche, je voyais presque toujours quand quelqu'un allait mal. Même les meilleurs menteurs ne me faisaient pas flancher. Aléana revint donc dans ma direction, son gobelet émettant une douce fumée réchauffante. Elle me répondit qu'elle était fière d'être ici. Oui, moi aussi. Bien que la pression engendrée par notre mission m'effraie quelque peu. J'étais également très honorée de me trouver là. D'avoir été choisie malgré mon jeune âge et mon inexpérience. Je remarquai que le professeur de sciences reprenait son stylo rouge et le faisait jouer entre ses doigts. Je me levai, regardai quelques secondes par la fenêtre les élèves qui se trouvaient dans la cour. Puis je soupirai, mes bras toujours fermés pour me tenir chaud.

" Je vais te laisser continuer, tu as du travail et... moi aussi ! C'était un plaisir de discuter avec toi, Aléana. "

Je retournai donc m'asseoir devant ces cours que j'avais abandonnés. Peut-être vaudrait-il mieux commencer par quelque chose d'attractif ? L'autobiographie, cela me permettrait de mieux les connaître et en général, les gens et en particulier les jeunes, adorent parler d'eux-mêmes. Cela vaudrait aussi pour ceux qui auraient du mal à s'exprimer en public, puisqu'il s'agirait d'écrire...